La crise, école des chefs ! (2/2)

Cet article est tiré de la conférence prononcée par Yves de Kermabon et Marc Delaunay, associés de MARS analogies, le 28 avril en mode webinaire pour le Cercle K2.

   3. Quelles leçons tirer en lien avec la crise en cours ?

Les nombreux retours d’expériences issus des opérations militaires mettent en exergue les analogies entre les enjeux régulièrement rencontrés sur les théâtres opérationnels et la crise du COVID-19 :

–    l’enjeu omniprésent de la survie dans une société qui cantonne habituellement les questions de vie et de mort et de choix éthiques à la périphérie de leurs préoccupations ;

–    le désarmement d’esprits non préparés livrés, à leur corps défendant, à un « exercice collectif de survie » à grande échelle dont la fin, pour chacun à des degrés divers, est incertaine ; une sorte de Tsunami mental ;

–    un niveau individuel et collectif d’insécurité inédit depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, renvoyant chacun à une sécurité primaire de la base du triangle de Maslow non assurée ;

–    la poursuite de la confrontation classique des intérêts politiques, stratégiques, idéologiques, culturels,… qui met à l’honneur le succès des modèles asiatiques et l’avantage déconcertant obtenu par la Chine, pourtant à l’origine de la pandémie, qui a introduit un cheval de Troie sanitaire chez ses concurrents/partenaires ;

–    la fragilité structurelle du modèle néolibéral occidental, déjà troublé par les divergences internes, et l’interdépendance croissante et à risques de ses composants humains et technologiques qui met en évidence ses pans entiers d’abandon de souveraineté ;

–    le choc de la complexité atteinte par un écosystème centrifuge, pas uniquement réservée aux pays développés, dont la maîtrise échappe aux gouvernances nationales.

A ces facteurs communs traditionnellement rencontrés dans la conduite des crises vécues par les militaires, s’y ajoutent des facteurs plus spécifiques, émergents ou redécouverts à cette occasion :

–    l’effet de surprise total, en l’occurrence davantage lié à une anticipation et une perception défaillantes qu’à une cause inconnue aggravées par le défaut de réactivité pour aller à l’essentiel, réagir et prendre les mesures préparatoires d’urgence (ex : gestion problématique des masques) ;

–    la psychologie des masses à intégrer à la réflexion ainsi que le « moral des troupes », celui des soignants, des travailleurs à risque, des populations fragiles ;

–    l’inertie et la lourdeur technocratique dans l’appréciation de situation initiale et le cycle décisionnel, mettant en évidence les effets exponentiels du retard politique rappelés par Mac Arthur : « Toutes les défaites ont un dénominateur commun : trop tard ! » ;

–    l’inadaptation – en conception comme en conduite – de la gouvernance du temps de paix et, pour nous, de la technostructure « à la française » : expertise en gestion de crise, choix stratégiques de structures et d’hommes, unité d’action, cohérence de l’action, partage clair entre les niveaux hiérarchiques en responsabilité et le terrain, définition d’un objectif final balisé par des étapes, culture de la confiance individuelle et collective, etc. ;

–    l’identification confuse des enjeux, des priorités et des urgences, la crise étant tout autant à dominante logistique que sanitaire ;

–    la propagation virale des effets directs hors du champ sanitaire, impliquant d’intégrer les facteurs vitesse et réactivité à l’action, pour éviter d’être débordé ;

–    la déresponsabilisation contreproductive des acteurs, des facilitateurs (relais d’opinion, collectivités) et des citoyens débouchant sur des mesures d’exception prise à la hâte, sans contrôle créant un état d’exception de fait, risqué pour les libertés démocratiques ; 

–    les méfaits d’une communication envahissante, erratique, déformée par le prisme médiatique et numérique, qui a brouillé l’information attendue à la base et fragilisé ses vecteurs ; 

–    l’absence de contrôle d’experts de légitimité inégale, rapidement pris dans des querelles intestines, des conflits d’intérêts, non cantonnés dans leur périmètre de compétence technique et non décisionnel ;

–    enfin une vérité fluctuante, masquée et diluée à l’opposé des vertus de transparence éclairée et de parole mesurée attendues à la tête de l’État.

En outre, les débats prospectifs sans visibilité sur le passage de « l’avant » à « l’après », portent l’illusion que tout pourrait être remis en cause à l’issue d’un choc de cette envergure. La prudence s’impose : les crises ont la mémoire longue, se résolvent lentement et ce jamais dans le calendrier fixé. De plus, la transformation brutale de modèles interactifs à l’échelle mondiale constituerait un risque de déstabilisation bien plus déstabilisateur que la crise en cours.

Au bilan, cette crise disruptive révèle quatre caractéristiques :

Elle a exporté un risque pandémique récurrent dans les pays pauvres venu frapper massivement au cœur des pays riches.

Elle a amené la gestion de crise traditionnelle, une sorte de « sport d’élite » réservé aux initiés pour des épisodes de portée et d’ampleur limitées, à devenir dans l’urgence et le vide de solutions à court terme, une activité de « masse » découverte et pratiquée à l’improviste. Faute d’anticipation et de préparation, la population a expérimenté, sans connaître les règles, un scénario catastrophe resté à l’état de concept et des ressources réduites aux fins de stocks à l’abandon hérités des crises sanitaires précédentes

Elle constitue aussi un révélateur sociétal et économique à la fois de ce qui unit et fracture les systèmes et les populations à tous les échelons, micro et macro, socioéconomiques : individu, famille, lieu et mode de vie et de travail, métier, entreprise, tissu associatif, collectivités de tous ordres, Nation, organisations internationale, gouvernance mondiale. Elle constitue de facto une sorte de métacrise moderne, issue à la fois d’une fragilité ancestrale sous-estimée et de la mobilité du XXIème siècle, qui va sans doute être fortement redistributive entre les pays, les secteurs public et privé, le mode numérique et l’activité traditionnelle, le partage de la valeur, etc.

Enfin, la part d’inconnu reste massive à ce stade en raison de son caractère multifactoriel et fortement dépendant, d’une part, de sa gestion individuelle et collective, de la pertinence des mesures à prendre et des nouveaux équilibres émergents et, d’autre part, de la capacité des organisations, reliées par une solidarité de fait, à juguler ses effets sans trop compromettre la survie du système tout en en faisant en sorte qu’elle ne se renouvelle pas.

En conclusion, pour maîtriser en cours d’action cette crise singulière, sorte de synthèse inédite, massive et redoutable des crises vécues jusqu’ici, nous préconisons trois efforts prioritaires et complémentaires :

En premier lieu, simplifier et crédibiliser la gouvernance française dans une vision interministérielle, conjuguant une stratégie gouvernementale renforcée au sein d’un centre opérationnel unique, non réduit à la seule composante « santé » ; d’un partage entre déconcentration et décentralisation dans la conduite ; d’un appel plus marqué à l’expertise extérieure, notamment logistique, de l’entreprise ; d’un accent mis – enfin – sur le responsabilisation des citoyens et des instances de proximité.

Ensuite, restaurer une approche de « confiance » dans tous les domaines telle qu’elle est décrite dans un article récent (1).

Enfin mettre en œuvre une dynamique de résilience (2) dans l’esprit des préconisations décrites par un second article (3), bientôt détaillées dans une approche de « résilience opérationnelle », adaptée au secteur public autant que privé.

C’est à ces conditions que le domaine de la crise, à tous les stades et dans tous les domaines de son empreinte croissante, sortira enfin de la face masquée de la gouvernance étatique et du secteur privé pour faire face aux multiples crises à venir.

(1)  https://www.cercle-k2.fr/etudes/restaurer-la-confiance-general-yves-de-kermabon-general-marc-delaunay-324

(2)  https://www.linkedin.com/posts/christianthiebault_une-dynamique-de-r%C3%A9silience-pour-la-crise-activity-6656221969115156480-SSp7

       (3) https://www.cercle-k2.fr/etudes/resilience-operationnelle-cercle-k2-329

MARS analogies est un dédié à la transmission de l’expérience managériale et opérationnelle militaire transposable dans les entreprises et les organisations civiles.